Bernard Pivot, L'adieu de Mlles Gribiche et Ravigote
Il est des noms si ravissants qu'ils pourraient prétendre à d'autres états civils que le leur, nous disait Bernard Pivot en 2011 dans "Les Mots de ma vie" en répertoriant ces "petites choses inventées, suscitées par ce supplément de vivre et de jouir qu'on appelle l'humour". Au soir du 6 mai 2024, les demoiselles Gribiche et Ravigote, à qui il prêtait un destin de femmes de tête et de salonnières du dix-huitième siècle, pleure la mort du journaliste qui a su si bien pendant des décennies faire partager son amour des livres et des auteurs.
"Gribiche serait une jeune fille assez relevée alors que Ravigote se montrerait plus piquante, écrivait-il dans Les mots de ma vie. Raffolant l'une et l'autre de la tête de veau, Gribiche et Ravigote seraient gourmandes de cervelles et de langues. Elles deviendraient fatalement d'habiles discoureuses pleines d'esprit. Leur présence serait très appréciée autour de la table. Elles philosopheraient sur le jaune d'oeuf dur. Elles parsèmeraient leurs confidences d'odorantes fines herbes. Pour clouer le bec des ennuyeux et des tracassiers, elles feraient vinaigrette. Il y aurait des câpres dans leurs bons mots. Comme la marquise du Deffand et Mlle de Lespinasse, Gribiche et Ravigote seraient deux grandes saucières de la conversation française".
Comme quoi, se régalait Bernard Pivot, de deux mots tout simples, on peut faire "surgir les senteurs, des sons et des couleurs".
Les Mots de ma vie, Bernard Pivot, Albin Michel-Le Livre de poche