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Du Bruit Côté Cuisine
3 janvier 2019

Voyage d'un gourmet à Paris, par Jean-Claude Ribaut

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Paris est une fête, disait Hemingway. Pour Jean-Claude Ribaut, "cette ville est un trésor" avec ses tables, ses chefs, petits et grands, son architecture, ses circuits, ses passages...  et il nous invite à courir d'un restaurant à l'autre, bon prétexte pour découvrir d'autres villes dans la ville, à la recherche d'une "bouffée de vie, d'une société qui sait se coopter".

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Après avoir collaboré au journal Le Monde quand le critique gastronomique La Reynière (de son vrai nom Robert J. Courtine) défendait encore avec férocité la cuisine française des terroirs, Jean-Claude Rigaut y a publié d'octobre 1993 à novembre 2012 une chronique hebdomadaire consacrée à la gastronomie et à l'oenologie. Aujourd'hui en retrait du buzz médiatique de l'univers de la gastronomie, Jean-Claude Ribaut revient sur ce qui a fait le coeur de son parcours de professionnel de la gourmandise, de ses choix, de ses admirations et de ses amitiés dans cet ouvrage (publié fin 2014), itinéraire gourmand qui commence "avec la nouvelle cuisine à l'acmé des Trente Glorieuses" et "qui s'achève avec les derniers soubresauts de la cuisine moléculaire".

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Avec au programme, un voyage au pays de la gastronomie parisienne, sans hiérarchie culinaire ni chronologie imposée, oùr la caillette de l'Ardèche est traitée "sur un pied d'égalité avec la cuisine minimaliste d'une nouvelle génération de cuisiniers", des fragments d'un discours gastronomique (car l'auteur propose bel et bien un point de vue sur la cuisine pratiquée en France pendant ces 20 années) et une chronique du temps qui passe, quand le critique qui faisait et défaisait les réputations retourne à l'anonymat du journaliste indépendant, fût-il ex du Monde. 

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Avec Jean-Claude Ribaut, on apprend que le restaurant Polidor, situé rue Monsieur le Prince et réputé pour sa cuisine ménagère, est une "véritable anthologie de la mémoire alimentaire de la capitale", pour avoir vécu le siège de 1870, la Commune, les taxis de la Marne, la traversée de Paris, et nourri toute une génération d'étudiants fauchés, d'artistes et d'écrivains, de Verlaine à Joyce, de Valéry et Hemingway. On suit le déclin de la cuisine à base de grenouilles, depuis la table de Georges Blanc à Vonnas jusqu'à celle d'Alexandre Gauthier, à la Madelaine sous Montreuil, tout en s'interrogeant sur la provenance de ces grenouilles loin de leur Dombes des origines.

 

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On partage le Quincy que l'on servait au père Poilane au bar du Sauvignon rue des Saints Pères et le pot de Beaujolais du Petit Saint Benoit que fréquentait Marguerite Duras. On croise Flaubert, Zola, Daudet et Tourgueniev au Café Riche, on suit les événements de mai 1968 depuis la terrasse de la Brasserie Lipp, et on se range à l'avis de Gérard Cagna pour qui cette période marqua "la fin des sauces liées à la farine, des goûts masqués de la cuisine d'après-guerre", l'apparition de la nouvelle cuisine et le début de l'extraordinaire aventure du duo Gault-Millau.

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On se souvient de Jacques Manière, ce chef et ami qui fut à l'origine des premiers émois gastronomiques de l'auteur. Sa tête de veau sauce tortue (cette "véritable pierre de Rosette de la cuisine classique"), son Oeuf Céline devenu très vite un succès planétaire, la "fine sapidité de la sauce de son oiseau sans tête" ou sa "façon très simple de faire des choses compliquées" ? On croise quelques amoureux du vin comme Hemingway, Peter Ustinov ou Jean Carmet dans la cave du père Besse, rue de la Montagne Sainte Geneviève, et, non loin de là, rue Claude-Bernard, on fait un rapide détour par le Philo Vino de l'atypique caviste Bruno Quenioux. On rappelle la mémoire d'une figure incontournable de la gastronomie entre 1970 et 1990, Paul Corcellet qui "initia les Parisiens aux épices, aux plats surgelés, au poivre vert et aux moutardes aromatisées".

Au fil des pages, on admire l'érudition, l'éclectisme des choix, la belle langue, l'efficacité des mots et des jugements de l'auteur. Et on se demande qui d'autre que Jean-Claude Rigaut aurait pu apporter à l'histoire légendaire de Paris à table cette somme à la fois érudite et sans affectation. Qui d'autre parmi les critiques gastronomiques de l'heure a eu la chance de pouvoir se souvenir, pour l'avoir vécu de l'intérieur, du temps où le jeune Thierry Marx régalait ses convives d'une "fricassée crémeuse d'écrevisses, accompagnées de quenelles de poule faisane moulées à la cuillère..." ou peut se targuer d'avoir eu le privilège d'e goûter la tête de veau en croûte de sel du chef légumier Alain Passard ?

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Qui, à l'exception de cet homme de culture et de curiosités, peut légitimement et sans risquer le ridicule s'insurger contre la tendance des restos branchés au menu-surprise-imposé, ce "véritable déni de civilisation" qui cache en fait un "retour à l'unique plat du jour de l'Ancien Régime" ? Retracer l'historique des relations du Guide Michelin avec la Tour d'Argent ou des attraits perdus du Fooding ? Porter un regard rétroactif sur la carrière de Joël Robuchon et ses quenelles à la Nantua qui "demandent quinze minutes de cuisson et quelques siècles de préparation" ou de "l'enfant terrible parmi ses pairs" Alain Senderens ? Poser la question de  la dimension créatrice du métier de cuisinier et de la modernité en cuisine à partir du "cas" Pierre Gagnaire ? Evoquer la démarche de l'homme pressé Alain Ducasse vers "le retour à l'élémentaire" qui équivaut à un "retour à l'essentiel" ? Entamer un débat sur la place de la sauce dans la cuisine française et chez Yannick Alleno, ou le rôle fondamental de l'odorat dans la dégustation ? 

Bonjour à tous! Voici les premières tomates de mon potager de la SartheP1040758

Vision nostalgique et passéiste de la cuisine à la française, diront certains. Erreur... Car bien que sans complaisance pour le trop plein d'abstraction lyrique que l'on trouve parfois dans la nouvelle cuisine, Jean-Claude Rigaut sait aussi détecter parmi "ces jeunes cuisiniers qui se considèrent comme des artistes" ceux chez qui, comme David Toutain, "la volonté esthétisante n'entrave pas l'équilibre des saveurs", célébrer "la beauté culinaire du poireau traité avec respect" par Philippe Legendre et voir en Pascal Barbot l'un des chefs les plus talentueux de sa génération. L'un n'empêche aps l'autre. Comme il le dit lui-même, chacun est libre "d'aimer  la fois Chardin et Bonnard".

Un indispensable et formidable ouvrage que l'on recommande à tous les jeunes en formation aux beaux métiers de cuisinier et de restaurateur. Et à toutes celles et à tous ceux qui se piquent d'écrire sur les pratiquants de cet art majeur, la gastronomie, dont il est bon de rappeler qu'elle est "à tout le monde, selon sa culture, ses goûts et ses moyens".

Voyage d'un gourmet à Paris, Jean-Claude Rigaut, Editions Calmann-Levy

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