La Pasta, Une passion italienne entre légendes et réalités historiques

Alberto Sordi (D.R.)

Au sommaire de La cucinera bolognese, petit livre de cuisine publié à Bologne en 1874, aucune recette de pâtes, aucune trace des plats érigés en symboles du chef-lieu d'Emilie-Romagne. "Pas de ragù (la fameuse "sauce bolognaise"), pas de tagliatelles, pas de lasagnes, pas de cannellonis. Les tortellinis  eux-mêmes manquent à l'appel !"...

(Photo Dario Lazzari)

En croisade contre les "gastropuristes", le journaliste italien Luca Cesari s'en prend, dans La véritable histoire des pâtes (publié en mars 2022), aux "nouveaux grands prêtres de la tradition culinaire italienne" qui partent du principe que "les plats traditionnels ont toujours été identiques à ceux que nous connaissons aujourd'hui".

(Photos Ricette Storiche, Buitoni)

Dans cette version française de son ouvrage à succès Storia dell pasta in dieci piatti (Histoire des pâtes en dix plats, sorti en 2021 chez  l'éditeur milanais Il Saggiatore), le très médiatique gastronome et auteur dénonce, avec une verve aussi féroce que drôle, cette "vision fortement idéologisée de l'histoire gastronomique italienne dont le seul but est de faire remonter la naissance de ces recettes le plus loin dans le temps. Pour une raison simple: l'ancienneté et la stabilité sont les deux principaux critères pour distinguer ce qui est "traditionnel" de ce qui ne l'est pas".

(Photos Gianluca Simoni, Forbes)

A l'aide de 10 recettes emblématiques de pasta et force références historiques et personnages hauts en couleurs, Luca Cesari en fait la démonstration. Les recettes dont nous nous régalons aujourd'hui -et dont le process apparait "aussi intangible qu'un monument et partie intégrante de l'identité italienne"- ne sont en fait que le dernier résultat en date d'une longue évolution qui les a forcées à se transformer au fil du temps. De quoi estomaquer les puristes dont le poil se hérisse devant l’utilisation du parmesan ou du pecorino, de la pancetta ou du guanciale dans la recette de la carbonara  ou mettre un terme au scandale national provoqué en Italie par un chef qui avait osé mettre de l’ail dans l’amatriciana ! 

Osteria La Quercia à Rome (Photo Gambero Rosso)

Des fettucine aux tagliatelles, de l'amatriciana au ragù napolitain ou bolognais, des gnocchis aux lasagnes ou à la carbonara, du pesto alla genovese aux spaghettis sauce tomate, la plume de Gambero Rosso, le célèbre magazine italien consacré à la cuisine et au vin, et du blog Ricette Storiche confirme bien que "l'affirmation des pâtes au sein du paysage gastronomique italien a (...) été une lente conquête, qui a connu une accélération décisive dans la seconde moitié du 19ème siècle, pas avant". Impensable aujourd'hui d'imaginer la cuisine italienne sans les pâtes... Et pourtant. "Voilà un siècle et demi, elles occupaient une place restreinte dans la littérature gastronomique".

(D.R.)

Et Luca Cesari d'aligner paradoxes, contre-vérités et autres légendes autour de la passion italienne de la pasta. La première mention connue des lagana, probables ancêtres des lasagnes, est à trouver dans les écrits d'Horace. Les fettuccine Alfredo (du nom d'Alfredo di Lelio, un restaurateur né à Rome en 1883) ont d’abord conquis l’Amérique avant de s’imposer dans leur ville d'origine. Le pesto n’a pris sa forme presque définitive que dans la deuxième moitié du 19ème siècle et à cette époque, le temps de cuisson des pâtes était d’une demi-heure, la cuisson al dente étant donc une invention récente. 

Les amateurs se réjouiront d'avoir ainsi accès à 3 livres en un: une histoire culturelle de l’Italie, une galerie de portraits de bons vivants célèbres ou pas, et un recueil de recettes, dont certaines surprenantes comme cette préparation de lasagnes à la mode au 16ème siècle.

 La véritable histoire des pâtes, Luca Cesari, Editions Buchet-Chastel