Chef Akrame, Cuisine de voyage et métissage culinaire
(Photos Valery Guedes)
Il est des instants de l'enfance qui forgent à jamais l'identité et l'imaginaire d'un individu. Akrame Benallal est de ceux-là comme en témoigne le livre Shirvan, qu'il a publié avec le journaliste Philippe Toinard à l'été 2022 aux Editions de La Martinière.
Enfant d’Oran, ballotté entre son pays natal, la France, et l’Algérie, Akrame garde des souvenirs "de brioches chaudes à la fleur d’oranger que sa maman, mère au foyer, préparait pour le goûter à la sortie de l’école" et des pêcheurs débarquant sur le port "des espadons, des rougets, des sardines (...) vendus sur le bord des routes avec quelques oursins et des cigales de mer".
Après avoir fait ses premières armes de pâtissier dans le Val de Loire puis travaillé aux côtés du Chef*** Pierre Gagnaire, Akrame s’impose très vite dans le paysage gastronomique parisien puis français: premier établissement en 2011, dans le 16e arrondissement de Paris, première étoile Michelin en 2012, deuxième en 2014... En 2015, un séjour en Azerbaïdjan élargit son horizon de Chef et son univers gustatif: "J'ai visité la province de Şirvan et goûté des plats typiques de cette région. Partout où je me rendais, en ville comme dans la campagne, je ressentais ce métissage d’une cuisine locale fière de ses origines, mêlée à des influences dues à la proximité de l’Iran, de la Géorgie, de la Turquie, de l’Arménie".
Son livre porte la trace de ces découvertes culinaires, depuis les halles de Bakou et les petits restos d'Istanbul, jusqu'à la rencontre avec Nadir Güllü, le roi stambouliote du baklava qui a fait déguster ses pâtisseries à plus d'un chef d'Etat (tous régimes politiques confondus...): Poutine, Erdoğan, Barak Obama, le roi Abdallah, etc.
Ces passerelles entre Méditerranée, Asie et Moyen-Orient le renvoient à son propre parcours: son enfance en Algérie, la construction de son identité de pâtissier et cuisinier en France et les influences des cuisines espagnoles (il est resté un an dans la brigade du chef Ferran Adrià, au El Bulli), mais aussi marocaines et tunisiennes. Ses envies d'ailleurs le conduisent à s'installer à Bakou, Hong-Kong, Doha, Marrakech pour mieux explorer ce que les cultures culinaires de ces pays doivent au mélange des goûts, des saveurs, des parfums, des odeurs, des herbes et des épices et à l'usage de techniques ancestrales de ces régions du monde.
Muni de ce bagage aromatique, Akrame dessine sa Route de la soie, englobant le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, passant par la Sicile, la Grèce, la Turquie, le Liban, l’Iran, l’Azerbaïdjan pour ensuite descendre plus au sud jusqu’au Qatar et aux Émirats en faisant un crochet par l’Inde. Et enrichit sa cuisine en hommage aux épices et marqueurs gustatifs de l'Orient et de la Méditérranée et leurs produits-phare (citron noir, safran, cardamome noire, pistache, sumac, tahini, piment, eau de fleur d'oranger, grenade,...), à leurs techniques de cuisine comme le four tandor du nord de l'Inde, le feuilletage filo ou l'ajout de charbon végétal, et à leurs recettes-signature: hoummos, nan, harissa, pita, qutab, tempura, dolma, chakchouka, dahl, baklava.
De ces improbables cohabitations et juxtapositions naissent des plats aux multiples influences: Ceviche de dorade rose, Canette aux épices et pétales de rose, Chou-fleur rôti au citron noir d'Iran, Dorade massala, Pastilla de homard, Couscous d'octopus, Huîtres marinées sauce chermoula, citrons confits et oeufs de saumon, Cigales de mer à la crème de curry, Donut à la rose, etc.
Aujourd'hui, le Chef voyageur est aux commandes de trois restaurants Shirvan à Paris, Marrakech et Doha. Mais lui reste toujours en tête et en bouche l'inimitable saveur des Vermicelles et truffe blanche en risotto, réminiscence affective de sa mère Louisa et de son enfance à ses côtés. A-t-il le projet d'ouvrir d'autres restaurants ailleurs dans ses régions de prédilection ? Sans doute mais "je dois continuer à voyager, poursuit Akrame. Shirvan, c’est une cuisine de voyage".
Voyage sur ma route de la soie à travers 60 recettes, Akrame, Editions de La Martinière