Les 100 vies du Chef Guillaume Sanchez
"Guillaume est l'exact contraire de ce qu'il évoque", raconte Henry Michel. Parisien revendiqué, le Chef Guillaume Sanchez se révèle pourtant très au fait de la réalité du commerce de bouche dans les régions où il a oeuvré en tant que pâtissier. Petit jeune élevé dans une banlieue urbaine, il ne peut s'empêcher de se référer en permanence à Bordeaux, au Cap-Ferret et à "ses coins d'enfance". Trentenaire au physique de dilettante fatigué, il est en réalité un incroyable bosseur qui semble avoir déjà vécu 100 vies. Pâtissier à la formation hyperacadémique, c'est en Chef autoproclamé qu'il ouvrira son restaurant Nomos en 2015 sans avoir jamais cuisiné quoi que ce soit de salé.
Accouché par Henry Michel dans un ouvrage d'entretiens-confidences paru sous le titre Humains à l'automne 2017, le cuisiner rock'n roll que le grand public interloqué a découvert sur les écrans de télé-réalité -les éditions 2014 de Qui sera le prochain grand pâtissier ? et 2017 de Top Chef- se livre sans fard, sans chercher à dissimuler ses doutes et ses galères derrière la façade scintillante de ses succès et de ses victoires.
Ancien Compagnon du devoir, Meilleur apprenti de France, passé par Ladurée (il y est bombardé Chef de partie à 18 ans), Fauchon et Dalloyau, le jeune Guillaume entré en pâtisserie un peu par hasard s'astreint avec rage à cette discipline culinaire très exigeante. Assez vite, il pressent que s'il doit poursuivre sur ce chemin, c'est autant pour "comprendre la pâtisserie, y trouver son entrée" que pour mieux "tout cambrioler de l'intérieur", trouver sa propre voie, son propre geste.
C'est la force de Guillaume et ce qui le distingue sans doute des autres jeunes chefs de sa génération, au delà de son talent: un esprit critique et un certain sens du relatif affutés par les aléas de sa carrière d'entrepreneur vite interrompue par les attentats de novembre 2015, l'irrépressible besoin de se remettre en question que les choses aillent bien ou mal pour lui et "cette dose de perturbation salutaire" que lui reconnait Luc Dubanchet dans la préface.
Autodidacte complet en cuisine "né des bouquins, d'Internet et des voyages", Guillaume Sanchez n'hésite pas à fustiger les errements de la gastronomie française qui "souffre de nombreuses discordes entre son histoire, sa tradition et l'arrivée d'une génération mutante". Une gastronomie que le jeune Chef juge à la fois "solaire -c'est un trésor de traditions, de savoirs et de gestes mis en avant par des pairs passionnés- et terriblement obscure: c'est encore un métier vivant dans le passé, géré et jugé par une génération n'ayant pas interprêté l'importance et la brutalité des changements survenus dans le monde, depuis l'arrivée d'internet et de tout ce qui en découle".
Dans ce métier, "depuis trop longtemps tourné vers le geste et le goût", l'avenir est dans la recherche d'une autre forme de créativité et dans la réconciliation de ces deux générations "de la tradition et de la modernité, du carnet et de l'écran". Et pour celui qui a connu les deux faces d'un même tableau ("commis bousculé et chef bousculeur") dans l'invention d'une cuisine "tournée vers le public, mais sans emprisonner les hommes et les femmes qui y travaillent."
Tout dans les 234 pages de ce beau livre tourne autour d'une idée fixe, la quête éperdue de la cuisine idéale. Une "approche brute où tout ce qui doit se passer se produit dans l'assiette" et que l'on pourrait résumer en une recette épurée, son plat de renaissance après la faillite du Nomos version 1: l'Oignon des Cévennes, marjolaine et noisette du Piémont.
Peu enclin à parler sentiments, Guillaume Sanchez évoque cependant son émotion quand, de retour du marché avec sa mère, il "piquait le quignon" du pain: "Le craquant, le côté levain, le côté gourmand et hyper torréfié de la croûte, le moelleux. J'en ai fait un dessert avec des textures de dingue, monté comme un dessert boutique, très carré, très structuré, et au centre je venais y bloquer un syphon au levain hyper acide et hyper aéré comme une mie de pain".
Comme quoi le petit jeune un peu paumé de ses débuts a su, grâce à son talent et à sa force de caractère, "faire de son métier une expression plus large" que ce qu'il est "en tant qu'homme, au delà de la technique": un être sensible et libre dédié à ce "métier si bête et pourtant si noble: nourrir d'autres humains".
Humains, Guillaume Sanchez, Tana Editions