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Du Bruit Côté Cuisine
23 décembre 2024

Quand le ventre de Paris parlait "poissard"

(Tableau Louis Marie de Schryver)

Les injures, insultes, jurons et autres gros mots, dont Catherine Guennec a publié en 2013 l'incontournable et très imagé dictionnaire Espèce de savon à culotte, sont les  révélateurs d'une "réalité pulpeuse des rapports humains" comme le dit joliment Philippe Delerm dans la préface. Si le corps, le sexe (et la misogynie ambiante...) tiennent une bonne place dans ce bêtisier qui a commencé à déployer son truculent imaginaire à partir du 18ème siècle, la nourriture, les aliments, les métiers de bouche et le rapport à la nourriture s'y expriment aussi avec verdeur.

(D.R.)

Rien de plus normal, car ce parler poissard est "le langage vif et familier de la halle, des marchés. C'est le cri (les cris) de Paris au 18ème siècle. C'est la crudité, la saveur, le pittoresque des "engeulements" des fameuses poissardes, vendeuses de marée, des verdurières, marchandes de légumes"

D'extraction ménagère comme dans le cas de torchon, cruche,  moule à gaufre ou presse-purée, l'injure peut aussi s'avérer potagère. Le répertoire va alors de l'artichaut et de la bille à châtaignes à la bonne poire, au cornichon, à la figure d'oignon pelé, voire au cul d'oignon et à la "gueule d'empeigne garnie de clous de girofle enchâssés dans du pain d'épice". Ce qui avouons-le a quand même pas mal d'allure pour désigner ce que d'aucuns appellent tout simplement une sale tête.

(Tableau Léon Lhermitte/Petit Palais)

Quand elle ne se réfère pas au monde végétal, l'insulte peut trouver son origine dans les traditions bouchères ou charcutières. Une "cervelle de lièvre" n'a pas de mémoire (il la perd en courant...), la poule mouillée est un lâche, la grande saucisse n'a que la peau sur les os et le "grand dépendeur d'andouille" est bien trop grand pour pouvoir être en même temps intelligent.

(Photo louis Vert/Musée Carnavalet)

Si le "vieux cochon" (quand il n'est pas un "double cochon borgne") n'est pas très fréquentable, il est évident qu'on ne va pas faire son meilleur ami du "mou de veau mal lavé" ou de la "figure de ris de veau". La rubrique poissonnière est elle aussi friande en buzz scandaleux pour les oreilles. Dans la famille "poisson sans ouïes" (qui désigne une femme de mauvaise vie), force est de reconnaître que le maquereau (surnom du souteneur...) et la morue (la prostituée) sont les vedettes du langage populaire des faubourgs. Même les crustacés ne sont pas oubliés: le peureux est doté d'un courage d'écrevisse (laquelle -on le sait- marche à reculons), hareng-saur en jupon est le sobriquet d'une femme très maigre et l'huître n'est qu'un propre à rien.

A tout seigneur, tout honneur, les métiers de bouche ont aussi donné naissance à quelques solides jurons ou compliments à l'envers. C'est le cas de la "charogne échappée de la boucherie à Giroux", de la "cuisinière d'archange" (le gracieux équivalent de la garce...), du "jardinier de notre cuisinier" (qui qualifie un minable),  du gâte-sauce ou "fouille-au-pot" (mauvais cuisinier, ou quelqu'un qui ruine un projet ou gâche ses chances), ou encore du "tourne-broche de Lucifer" qui n'est rien d'autre qu'un scélérat.

Si votre bien-aimé(e) vous susurre à l'oreille que vous êtes son "gros pâté" ou son "trognon de chou", n'y voyez pas malice. Ces insultes d'antan sont passées au 19ème siècle dans le langage amoureux au titre des mots doux. Comprenne qui pourra !

Espèce de savon à culotte et autres injures d'antan

Catherine Guennec, Editions First

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