Cacao et chocolat, Objets de plaisirs et de droit

La Belle Chocolatière (détail), Jean-Etienne Liotard

Quand en 1745 le peintre genevois Jean-Etienne Liotard réalise le gracieux pastel La Belle Chocolatière, le cacao a fait son apparition en France depuis 130 ans (en 1615, à l'occasion du mariage d'Anne d'Autriche avec Louis XII) et est devenu sous Louis XIV l’objet d’un très important commerce. A peine le temps de commencer à faire les délices de la Cour de Louis XIV, et ce délicat breuvage est déjà devenu objet de droit. Dans une lettre patente datant de mai 1669, le Roi accorde à un certain David Chaillou, valet de chambre du Comte de Soissons, le privilège exclusif de la fabrication et de la vente de chocolat en liqueur, en pastilles ou "en telle autre manière qu'il luy plaira"...

(Photo Chocolat Diogo Vaz)

Publié début 2023 chez Enrick B Editions, l'ouvrage collectif Chocolat 100% droit s'est donné pour mission d'appréhender "le chocolat sous toutes ses formes, liquides, solides et juridiques". Car, une fois sorti du domaine des privilèges, le cacao et le chocolat -devenues des marchandises comme les autres- vont soulever de nombreuses questions de droit, du fait de la mondialisation héritée du commerce des esclaves contre des fèves de cacao, de la colonisation du monde par les pays européens puis des différentes phases de décolonisation.

(D.R.)

"Sacs de fèves ? Sacs à procès !". Des forêts tropicales aux cuisines occidentales, le chocolat -produit-phare de la mondialisation- est soumis à une règlementation qui impacte toutes les étapes de sa culture, sa fabrication, sa commercialisation et sa consommation. A partir des marché de fèves d'Accra, Lagos, Abidjan ou du Salvador, les vendeurs (exportateurs privés, coopératives de production, organismes d'Etat) font appel à des courtiers, des commissionnaires. Les importateurs, quant à eux, sont en fait moins des chocolatiers que des négociants spécialisés qui à leur tour traitent avec les industriels de la chocolaterie... Et la spéculation va bon train sur le marché boursier. De quoi ravir les amateurs de subtilités juridiques !

(Photo Chocolat Diogo Vaz)

Tout au long de son parcours, depuis la fève jusqu'au chocolavore final, le chocolat est un exemple de protection d'une filière par des définitions règlementaires plus que pointues (du genre "Oui au chocolat en poudre. Non à l'appellation poudre chocolatée !"). Ce qui donne une accumulation de textes en droit français et en droit européen pour arriver à définir des produits tels que le beurre de cacao, le cacao en poudre, le chocolat au lait, le chocolat blanc ou la praline !

(Photo Chocolat Diogo Vaz)

A la croisée de plusieurs droits. Côté Production, droit des brevets, dessins et modèles, droit d'auteur et des marques. Côté distribution, droit des chocolatiers, des fournisseurs et des distributeurs... Sans oublier le droit des consommateurs. Qualité du produit, définition, protection de la santé, propriété intellectuelle, publicité, représentation, fiscalité dans les pays consommateurs, finances publiques dans les pays producteurs, protection des forêts, travailleurs et peuples autochtones, développement durable... autant de sujets qui font du chocolat un objet de droit bien réel.

BD Le maître-chocolatier (Ed. Le Lombard)

Sans compter les aléas juridiques de la difficile régulation du commerce équitable du cacao. Quand on sait que, si 90% de la culture du cacao se fait sur de micro-exploitations familiales, ces mêmes petits producteurs ne profitent en fin de compte que de 6 % de la valeur marchande du chocolat. Et on parle d'une industrie à 136 milliards de dollars par an (chiffres 2021) ! Le droit du chocolat aura-t-il le bon goût de se ranger du côté de la justice et de l'équité ?

Chocolat 100% droit, Enrick B Editions, Collection LMD (Le Meilleur du Droit)