L'art de bien manger au Japon selon Vahram Muratyan

Artiste et designer graphique, Vahram Muratyan est fasciné par les univers urbains. Après un premier ouvrage Paris vs New York (10/18), il lance dix ans plus tard avec Va au Japon, publié chez Les Arènes pendant l'été 2022, une déclaration d'amour à "ce pays merveilleux" qu'est le Japon et à sa ville-laboratoire Tokyo.

Mobilisant son talent de designer adepte des aplats de couleurs au service de ses "souvenirs de flâneur, en liant les formes, en opposant les couleurs, en superposant les matières". En jouant sur les mots, le rythme des syllabes, le son des kanji" (idéogrammes)... il crée des ponts entre ses impressions de visiteur étranger et les mots et valeurs iconiques de la culture nippone.

(Photo Julien Falsimage)

Composé de doubles pages où images épurées et aphorismes souvent humoristiques se répondent, Va au Japon est une incursion sensorielle à l’intérieur du pays, chaque thème faisant écho à un autre: Kitsune–Café, Café–Mononoke, Mononoke–Forêt, etc.

Bien que reconnu à l'échelle mondiale et très demandé dans le monde des marques internationales (il a signé des créations pour Prada, Nespresso, Hermès...), Vahram n'en garde pas moins, après de nombreux séjours dans l'archipel nippon, la soif de découvrir et la capacité d'émerveillement d'un touriste qui visite ce pays pour la première fois. Avec juste le talent et la distance de l'artiste en plus...

Au fil de ses voyages et de ses explorations, Vahram s'aperçoit que l'art de bien manger devient le vecteur de (s)es flâneries. "Des graines gluantes de natto le matin, des yakitori de nankotsu accompagnés d'une salade de shiso le midi, des makis de shirako avec un verre de shochu le soir".

La nourriture à la japonaise représente pas moins d'une vingtaine d'entrées dans ce guide visuel qui fait appel à tous les sens, le goût passant avant tous les autres: café Kitsuné "où un matcha latte est plus excitant qu'un espresso bien serré", Asahi ("une bière japonaise faussement légère"), les pubs Isakaya (où on ne comprend rien au menu), le Saké  "loin du tord-boyaux servi en France" et "qui ne donne pas la gueule de bois", les nouilles que tout le monde confond (Soba, Ramen, Udon pour lesquelles "l'ultra-fermeté est appréciée... sinon tout devient mou dans du bouillon rien de plus ennuyeux"), Sushi (avec eux "c'est sans chichis, pas de baguettes"), Onigiri, Mochi, Bento (dont la façon de l'organiser révèle qui on est..), Tofu (qui laisse perplexe au début mais dont l'intérêt se dévoile peu à peu), Wasabi (pas vert contrairement à ce qu'on pense mais jaune comme la moutarde), l'Umami (l'une des cinq saveurs, "ce goût qui n'est ni amer, ni sucré, ni acide, ni salé"), Anko (la pâte d'Akuzi, qui s'obtient en suivant les conseils de la mamie dans le film Les Délices de Tokyo), Sashimi ("nul besoin de les découper, ils font la taille de la bouche"), Omakase où la façon de dire à un Chef: "Servez-moi ce qu'il vous plaira"...

Chez Vahram Muratyan, même les incontournables Manga sont passés à la moulinette de la gastronomie, l'auteur étant estomaqué par la boulimie des héros dans les Manga Shonen ! Rien que des mots entrés depuis longtemps dans le vocabulaire de nombreux urbains, ce qui semble souligner la japonisation des moeurs en cours en Occident. Car, constate l'artiste-voyageur, "ce qui apparait ici devient souvent la norme dans le reste du monde quelques temps après". La pandémie de Covid a d'ailleurs montré, selon lui, "à quel point nous étions tous devenus un peu japonais".

Amoureux du pays du Soleil levant, Vahram se considère comme en manque dès qu'il en est loin. Au risque de devenir à terme "un étranger tatamisé", c'est à dire "un touriste qui se croit plus japonais qu'un Japonais" ?

Va au Japon, Vahram Muratyan, Editions Les Arènes et Komon