Ces auberges que l'on dit nouvelles...
Monsieur Droze, garde-champêtre de Gyé-sur-Seine, et sa femme
Depuis le 14ème siècle, c'est un endroit où l'on peut loger contre espèces sonnantes et trébuchantes et où il est aussi possible de se restaurer. Au fil des ans, et en particulier au siècle dernier, l'auberge a su devenir à la fois le rendez-vous des habitants du cru attirés par la promesse d'un accueil chaleureux et de bons petits plats (arrosés de bons petits vins) et le lieu de rencontre des représentants de commerce et autres voyageurs de passage en quête d'une halte bienfaisante.
Un temps supplantés dans l'imaginaire collectif par l'omni-présence médiatique des chefs-stars et de leurs adresses haut de gamme, certains de ces établissements permettent aujourd'hui à une génération de cuisiniers de revendiquer, derrière une apparente simplicité, une place au firmament de la cuisine hexagonale. Des parcours qui fleurent bon le terroir et l'histoire locale que nous raconte Victor Coutard dans l'ouvrage Nouvelles auberges, Cuisines de campagne, publié à l'automne 2021 chez Tana Editions.
Lassés de solliciter l'artillerie lourde indispensable à la pérennisation des "grandes" tables (dans lesquelles certains ont fait leurs armes), soucieux d'environnement et de lutte contre le gaspillage, adeptes des circuits courts, ces cuisiniers -souvent très expérimentés et bénéficiant d'appuis dans le milieu de la gastronomie parisienne- ont décidé de transposer dans leurs cuisines la philosophie qui guide leurs vies personnelles, proposant dans un cadre convivial, une cuisine qui se veut "honnête et éco-responsable", sourcée et basée sur l’excellence des ingrédients, privilégiant artisans et producteurs locaux.
Au menu de ce tour de France de ces adresses que l'auteur classe parmi les "meilleures auberges du moment": le Garde Champêtre dans l’Aube (Gyé-sur-Seine, dans l'Aube), un restaurant où les repas préparés à la minute sont alimentés par une ferme bio, sous la direction de Juan Sanchez, caviste et restaurateur de renom (à l'origine notamment de Semilla et Freddy's et Fish)...
D’Une Île à Rémalard dans le Perche, un micro-village de maisons de campagne du 17ème siècle situé dans un parc de 8 hectares où est proposée "une cuisine durable, saisonnière et rustique ancrée dans son environnement", accordant une grande importance au végétal et calée sur les cycles des saisons,...
... La Roche à Valdebore, au pied du massif du Mercantour. Dans cette bâtisse abandonnée depuis 1986 et remise d’aplomb en septembre 2019 par deux pro de la cuisine gastronomique, Louis-Philippe Riel (ex-chef du 6 Paul Bert à Paris), et Alexis Bijaoui (passé chez Alain Passard au restaurant L'Arpège à Paris, ex-sous-chef chez Dan Barber à New York), s’approvisionnent en produits de saison auprès des éleveurs et maraîchers locaux, pour une cuisine fortement axée sur le végétal, mais qui fait aussi la part belle à la rôtisserie avec des cuissons de pièces entières présentées en salle, ...
... Le Petit hôtel du Grand Large en Bretagne (Saint-Pierre-Quiberon). Avec une étoile Michelin en 2011, Catherine et Herbé Bourdon revendiquent une cuisine qui prolonge la visite de la presqu’île jusque dans l’assiette. Tous les jours, le chef fait le tour du port et cueille des herbes sauvages. À côté du restaurant, un coin de potager lui permet aussi de cultiver ses propres produits. A l'hôtel, comme au restaurant, où Hervé cuisine en spontanéité et simplicité ce qui vient de l'océan, en face, qui a été ramassé, cueilli, pêché dans les heures précédentes: palourdes de plongée, pouces-pieds, poissons de ligne, légumes de saison,..
... L’Auberge Sauvage en Normandie, dans la Baie du Mont-Saint-Michel. Thomas Benady y façonne tout son univers calqué sur le local et les saisons: le gîte et le couvert, la cueillette sauvage, le maraîchage et la pêche (en s’associant aux hommes des terres voisines et leur savoir-faire unique). Chaque menu est un hommage aux travailleurs de la mer et de la terre qui l’entourent et une déclaration d’amour au terroir qui l’accueille. Ici tout est fait maison, le pain, la charcuterie, les vinaigres, les fermentations…
... Le Vert Mont à Boeschepe dans les Hauts de France. A sa tête, le très médiatique chef Florent Ladeyn qui, "engagé pour une cuisine durable, pour un impact le moins conséquent sur la planète", a su transformer l'essai Top Chef en un engagement militant -et néanmoins gourmand- au service du locavorisme et des produits de la Flandre...
La Cabane à Matelot en Touraine. Romain Gadais, pêcheur professionnel à Bréhémont, en bord de Loire) qui, au delà de la vente de rillettes de poissons de Loire et de poisson fumé propose dans son restaurant "des plats qui tiennent au corps réchauffent l’âme et se cuisinent avec des ingrédients faciles à se procurer" : œufs de poisson de rivière en tarama, pêches de vignes au lait d'amande, carré de cochon fumé dans la cheminée, sandwich à l’agneau effiloché, bouillon végétal haricots grillés et tomates semi-séchées, carpaccio de carpe, tarte quetsche/amandine, roulé de chou-rave sur lit de chèvre, consommé d'écrevisse, pannacotta infusée au foin, gigot d’agneau rôti sur l’os, chou à la crème de flouve...
De belles adresses gastronomico-branchées donc, surtout tenues par des professionnels aguerris dont le nom et la renommée (et les prix parfois très "parisiens") semblent capter un public d'urbains gourmands attirés par le bruit médiatique ... plutôt que la clientèle habituelle des habitants du coin.
Ce qui conduit le lecteur de cet ouvrage à se demander en quoi certaines s'apparentent encore à des auberges et si cet engouement de ces chefs pour le "concept de naturalité" ne risque pas à terme de réduire leur gastronomie à une cuisine d'assemblage de produits d'exception.
Nouvelles auberges, Cuisines de campagne, Victor Coutard, Tana Editions