Le Paris gourmand d'un Mangeur de ville

(Photo AFP)

Penseur-mangeur en chaussures à crampons, Frédéric Abergel a tout du gastéropode, cet "estomac avec des pieds, qui se promène, parfois loin et parfois longtemps avant de déguster". Mais ce mathématicien qui commet de la prose gastronomique et touristique à ses heures s'apparente plus aux mollusques des villes plutôt qu'à un escargot des champs. 

Ayant fait des parcours urbains où l'asphalte a éradiqué les herbes folles son domaine de prédilection, celui qui prête régulièrement sa plume alerte et son insatiable appétit de vivre à son "avatar voyageur et gourmand" -le site Gasteropode.org-, publie à l'automne 2020 un opuscule sur Paris dans la collection Les Mangeurs de ville des Editions Nanika. 

(Photo milieu Restaurant Yen)

Contemplatif apparemment épaté par ce mix de fonctions dont il est constitué -marcher, manger, écrire étant pour lui des passe-temps aussi primaux que jouissifs-, Frédéric Abergel nous livre une version street-food de ce qui aurait pu s'intituler Les Miscellanées culinaires du Promeneur solitaire du 21ème siècle.

Avec son côté à la Jean-Jacques Rousseau pour sa relation fusionnelle entre la marche et de la contemplation et sa british touch héritée en droite ligne des "petits riens essentiels"  de l'écrivain britannique Ben Scott dans ses célèbres Miscellanées de Monsieur Scott (publié en version culinaire et française en 2007 aux Editions Allia).

(Photo Père et Fish)

Dans ce petit "couteau suisse en forme de livre", la logorrhée abergelienne traite allègrement du mollet du banlieusard, d'une ligne de coques, des miches de bobo, de toro des prés, de diabolo-chaussure, de Shiso(sai) et va de déclaration majeure comme "Et pourtant, elle tourne" à des questionnements existentiels du genre "Aimez-vous Beige ?", qui ne sont pas sans faire penser à Frédéric Dard et à sa prose san-antonienne.

Restaurant Abri Soba (Photo M. Jauniau-Dallier)

Le lecteur amateur de bonnes adresses citadines pourra faire son marché dans les bistrots, brasseries, commerces de bouche, caves, restos exotiques qu'Abergel croise dans ses randonnées parisiennes: Au Pied de Cochon, la Cave d'Ivry tenue par Paco, la Fromagerie Lasnier où se régaler d'un "antique Comté invraisemblable de maturité", le burger Fish and Ships d'une poissonnerie adepte de la pêche durable, des self-service "bio, belges et bons", etc...

Photo gauche Fromagerie Lasnier

"Entre dépense et récupération, mouvement et pesanteur, je marche, raconte le randonneur solitaire. Et je mange. Et je mange. Et je marche. Je savoure les rencontres visuelles, auditives, olfactives avec la nature et la ville. La lumière, le ciel. La lune. Je déguste ce que mes papilles testent, ce que mes narines goûtent. Parfois, je marche en mangeant. Je mange en marchant. Mon esprit est libre. Fluide. Oxygéné. Flottant. Il imprime: les passants. Les boulangeries. Les sommets. Les troquets. Les monuments. Les restaurants. Les dîneurs. Les coureurs. Dessinant une carte du monde sensible, sur laquelle je me sens bien".

Et le lecteur, emporté par cet élan vital, de lui emboîter le pas. Et, kilomètre après kilomètre, burger après burger, troquet après troquet, d'avoir envie de se sentir bien, lui aussi.

Les mangeurs de ville: Paris, Frédéric Abergel, Editions Nanika