Du bleu à table. Faire rimer autisme avec cuisine
Se nourrir, un acte a priori simple et naturel ? Pour la plupart d'entre nous, oui. Mais, pour les personnes atteintes d'autisme et leur entourage, ce geste quotidien est un parcours du combattant marqué par de nombreuses difficultés à surmonter au jour le jour.
Lui-même porteur du syndrôme Asperger (l'un des troubles du spectre autistique), le philosophe et écrivain Joseph Schovanec a décidé de saluer l'indéfectible engagement et l'imagination sans limites de parents qui, "face aux difficultés parfois insurmontables d'alimentation de leurs enfants, ont dû concevoir des solutions qui, par leur originalité, n'ont parfois guère à envier à la complexité de l'art culinaire des grands chefs".
Dans le livre qu'il a publié avec Claude Carat en mars 2018 aux Editions Terre Vivante, le jeune homme a compilé une quarantaine de recettes mises au point au fil des jours par des familles tentant de s'adapter au mieux au profil sensoriel spécifique de leurs enfants autistes: Milou qui "aime tout: salé, sucré, acide, piquant... mais pas mélangé !", Arthur qui a une véritable aversion pour les aliments orange, Mattheo qui, lui, ne mange que du rouge ou Roméo dont l'alimentation est régie par trois interdits: pas de vert, pas de froid, pas de grillé !
Les auteurs Claude Carat et Joseph Schovanec
Ce voyage dans l'Autistan culinaire permet au lecteur de rencontrer le jeune Stef, qui ne tolère ni assaisonnement ni aliment cuisiné, Camille qui, bien que déficiente visuelle, doit vérifier que, dans son assiette, aucun grain de riz n'en touche un autre et que, dans sa bouche, le riz n'entre en contact ni avec son palais ni avec ses dents, India, cette "magnifique petite fille non verbale" passionnée de chocolat ou Tanguy qui décide de ce qu'il aime à partir des photos d'un livre de cuisine.
(Photos Jean-Michel Coulier)
A partir de messages envoyés par les familles, le chef Christophe Bligny, enseignant à l'Ecole de Paris des Métiers de la Table, met en scène les ingrédients et les proportions de la Soupe de courgettes "bien mixées, pas trop épaisses, ni trop claires" de Corentin, du Méli-mélo cru de Stef, du Triple poulet-mayo de Milou, du Riz vert aux épinards et saumon d'Arthur, de la Courge déguisée de César, des Spaghettis bleus de Corentin (une recette réservée aux Stroumpfs autistes, nous dit l'auteur !), des Knacks/tomates/Sauce tomate de Mattheo, du Croque-monsieur de Julien (le fromage fondu étant la seule solution trouvée par ses parents pour lui faire manger du fromage), des plats Post-it de Tanguy...
Pour ce qui le concerne, Joseph Schovanec a confié au chef sa recette d'enfance de Spaghettis au sucre, une association culinaire qui, si elle surprend les adeptes de la tradition gastronomique classique, figure dans les repas de fête dans la région de Constantine, en Algérie.
Un bel ouvrage plein d'humour et de tendresse dédié à ces enfants que leurs parents peinent à nourrir mais dont l'autisme, "objet de découverte et d'émerveillement", constitue un "'atout de créativité" en matière de cuisine comme dans d'autres domaines.
A noter que le titre de l'ouvrage fait référence à l'autobiographie de Daniel Tammet "Je suis né un jour bleu. A l'intérieur du cerveau extraordinaire d'un savant autiste", publié en 2007 aux Editions Les Arènes.
Je cuisine un jour bleu, Josef Schovanec et Claude Carat, Editions Terre Vivante