Diderot, Philosophe des Lumières... et de la Haute-Marne

Terre d'élection du Général de Gaulle qui, dès 1934, avait fait du village de Colombey-les-Deux-Eglises son refuge à l'abri des rumeurs du monde (on peut y voir désormais le Mémorial qui évoque sa mémoire et son action), le département de la Haute-Marne ne manque pas de grandes figures historiques et littéraires, comme la militante anarchiste Louise Michel, née à Vroncourt-la-Côte, les Frêres Goncourt élevés à ... Goncourt berceau de leur famille, ou encore Voltaire réfugié auprès de la Marquise du Châtelet, à Cirey-sur-Blaise, après la publication de ses Lettres Philosophiques.

Cependant, le personnage tutélaire de cette région du Grand-Est, entre Alsace et Ile de France, Bourgogne et Champagne, est sans conteste Denis Diderot, l'écrivain-philosophe emblématique du Siècle des Lumières. La belle ville fortifiée de Langres, où il est né en 1713 et qui lui consacre un musée et des Rencontres Philosophiques, s'enorguelllit de conserver 3 exemplaires de l'Encyclopédie, dont Diderot fut le principal maître d'oeuvre et dont la publication s'étala sur 20 années, de 1751 à 1772.

Si l'Encyclopédie, Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers conçue dans le but de "rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre" est aujourd'hui consultable en ligne, l'examen -même partiel !- de ses 18 000 pages, 72.998 articles, 2.885 planches, 20.736.912 mots... est pour les visiteurs l'un des grands moments de la visite de La Maison des Lumières.

 

Au delà de l'image austère de l'écrivain-philosophe, on peut s'interroger sur le rapport de Diderot au bonheur. Dans Le Neveu de Rameau, un dialogue écrit entre 1762 et 1773 , Diderot met dans la bouche du Neveu la phrase suivante : "Vive la philosophie, vive la sagesse de Salomon: boire du bon vin, se gorger de mets délicats, se rouler sur de jolies femmes, se reposer dans des lits bien mollets. Excepté cela, le reste n'est que vanité".

Dans un article publié en février 2006 dans Lettres et Arts, Solenn Beck identifie dans le personnage du Neveu "le libertin, tel qu'on le conçoit au XVIIIème siècle, c'est-à-dire un être qui satisfait sans vergogne ses plaisirs selon son bon vouloir et qui n'a aucune mauvaise conscience à négliger les autres". En affirmant que "l'égalité dans le bonheur n'existe pas et que celui-ci n'est pas forcément associé à la vertu", le Neveu adresse des reproches au philosophe et "s'inscrit donc en contre-point des valeurs admises par les Lumières".

(Hôtel le Cheval Blanc, Langres)

Quant au Philosophe (Diderot en personne ?) qui dialogue avec le Neveu, il est plus nuancé et davantage attaché aux valeurs traditionnelles, au goût de la vie naturelle et accorde la primauté à la vertu. "Le philosophe est plus exigeant et délicat dans ses plaisirs, également plus respectueux de ce qui lui est offert et des autres, explique Solenn Beck. C'est pourquoi il hiérarchise les différents plaisirs. Les instants simples sont les plus importants, tels que la générosité, l'altruisme, le sens des responsabilités, etc... Le bonheur réside donc dans les scènes de la vie courante et doit reposer sur la réciprocité, c'est-à-dire donner, recevoir et partager".

Reste à savoir -comme se le demande Solenn Beck- si le Neveu et le Philosophe ne sont pas en fin de compte dans l'esprit de Diderot le reflet des deux facettes d'une même personne...

MaisonMaison des Lumières, Langres, Haute-Marne