24 août 22
Chaque jour est un festin... quand on est un romancier américain amoureux des choses de la vie
Pour le public francophone qui connait peu ce romancier américain, James Salter était "aussi vif et spirituel que son œuvre. Un auteur allant bien avec ses livres. Un dur à cuire mélancolique. Visant l’essentiel dans ses textes comme dans la conversation. Sans complaisance et crépitant de vie. De fait, Salter voyait l’existence comme un combustible". C'est ainsi que le décrivait Florence Noiville dans le Monde après le décès de l'auteur le 19 juin 2015.
Dans Chaque jour est un festin, traduction de leur ouvrage Life is meals paru aux Etats-Unis en 2006, l'ancien pilote de l'US Air Force et vétéran de la guerre de Corée devenu sur le tard un auteur-culte dans son pays et sa femme Kay, dramaturge et journaliste (notamment pour The New York Times et Food and Wine) nous donnent à contempler 40 ans de la très sophistiquée vie d'un couple membre de l'intelligentsia est-américaine, amoureux de la nourriture et du vin, parfait connaisseur de la culture et des grands personnages de la gastronomie mondiale, incollable sur l'histoire des plats et des recettes emblématiques des pays réputés pour leur patrimoine gourmand, grand voyageur devant l'Eternel et très au fait des règles du savoir-vivre et du savoir(bien)-recevoir.
(Croquis Floc'h.Floc'h/SDP)
Anecdotes autour de la soupe à l'oignon préfêrée de Samuel Beckett et Harold Pinter pendant leurs séjours à Paris, aphorismes sur le goût, le sexe, l'art, le prix du vin ou les restaurants de musée, réminiscences proustiennes sur le goût de l'ouzo dans un port grec et celui des "premières fois", réflexions culinaires prêtées à la Reine Victoria, au Président Kennedy ou à... Winnie l'ourson, menu servi sur le Titanic le dramatique jour où..., recette des boulettes de viande de John Irving et celle des Salter pour le poulet Marengo, recensement des différentes formes des pâtes italiennes.... tout "fait ventre" pour ces deux intellectuels adeptes du bien manger, du bien boire et du bien vivre mais très soucieux de l'impact que leur rapport à la nourriture et aux choses du quotidien a sur leur image.
(Photo The Reluctant Gourmet)
Peut-être la version française aurait-elle pu faire l'impasse sur les pages contenant des références à des personnalités anglo-saxonnes que le lecteur français ne connait pas, comme Lorry Hubbard (une cuisinière amateur qui écrit dans le Chicago Tribune), Irma Rombauer (dont le livre Joy of Cooking, bien que vendu à 18 millions d'exemplaires outre-Atlantique, n'est pas traduit dans l'Hexagone), ou encore Sylvester Graham, l'inventeur du Graham Cracker...
Un ouvrage à déguster un verre à la main et à savourer comme un hommage - à la fois vibrant et distancié, péremptoire et touchant, prosaïque et second degré- à la nourriture, au vin, à l'amitié, au plaisir, au partage... A tout ce qui fait la vie, telle que James Salter la décrivait avec mélancolie dans "Un Bonheur parfait" : "La vie, c'est le temps qu'il fait, les repas. Des déjeuners sur une nappe à carreaux bleus où quelqu'un a renversé du sel. Une odeur de tabac. Du brie, des pommes jaunes, des couteaux à manche de bois".
Que la publication en France de Chaque jour est un festin soit intervenue quelques mois à peine après le décès de James Salter en juin 2015 devrait inciter les amateurs de littérature à (re)découvrir cette personnalité attachante des lettres américaines.
Chaque jour est un festin, James et Kay Salter, Editions de La Martinière