Sous les "ombrages de papier" des jardins de roman
Henri Manguin, Thé à la Villa Flora
Jardins de papier ou rêves de jardins. Pour le paysagiste-jardinier Gilles Clément, "les jardins de romans (comptent) parmi les jardins éphémères qui ont embelli la planète depuis des milliers d'années. "J'ai fait mes premiers pas sous leurs ombrages de papier. Sont-ils moins fugaces ? A peine. Un jour, ils disparaîtront à leur tour, on ne les comprendra plus. Qui lit encore, pour le plaisir, La Nouvelle Héloïse ou Le Lys dans la vallée ? Déjà, dans les romans français contemporains, on rencontre moins de jardins, me semble-t-il".
La pergola, Silvestro Lega (1868)
Dans cet ouvrage publié en 2015 que l'on pourrait qualifier de "vagabondage autobiographique, littéraire et joyeux", l'historienne des légumes oubliés Evelyne Bloch-Dano quitte le potager pour se rendre dans le jardin tel qu'on le retrouve dans la vie et dans l'oeuvre de grands auteurs.
Colette à la Treille Muscate (D.R.)
Après nous avoir entraîné du paradisiaque jardin de la Bible aux parcs façonnés à l'anglaise, Evelyne Bloch-Dano évoque ces romans dans lesquels "le jardin est le reflet de l'âme, le travail qui rend meilleur, le repos mérité, la nostalgie de l'enfance, le rêve d'un monde idéal". De Rousseau à Proust, de Duras à Sand, de Colette à Modiano, "il apparait à la fois comme une représentation du réel et un miroir de l'imaginaire".L
Les roses, Gustave Caillebotte (vers 1868)
Même si les jardins ne font désormais plus florès dans la littérature contemporaine, ils n'ont pourtant "jamais suscité un tel engouement de la part du public". Jardins d'agrément, potagers royaux, jardins urbains, partagés, familiaux, jardins d'insertion, fêtes des plantes, fièvre consumériste des jardiniers du dimanche, jardins mercantilles...
"Ils sont à la fois des produits de notre civilisation et leur antidote. Les jardins d'écrivains ne sont pas en reste. A Vulaines, en Seine-et-Marne, Florence Dreyfus a reconstitué celui de Stéphane Mallarmé grâce aux nombreux détails de sa correspondance"
"Dans la maison de Colette, à Saint-Sauveur-en-Puisaye, on recrée -miracle !- celui de Sido. A Malagar, les charmilles conduisent toujours au banc de pierre d'où François Mauriac contemplait le paysage".
François Mauriac dans son jardin de Malagar (DR)
Romans aimés, jardins rêvés, jardins en devenir, jardin planétaire... En ces temps de réchauffement climatique et de menaces écologiques à l'échelle de la planète, "il faut désormais s'occuper du vivant. Le considérer. Le connaître. Avec lui, se lier d'amitié", dit encore Gilles Clément. C'est peut-être ce qui s'appelle transmettre, conclut Evelyne Bloch-Dano.
Jardins de papier, De Rousseau à Modiano, Evelyne Bloch-Dano, Editions Stock