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Du Bruit Côté Cuisine
10 décembre 2013

Le pain ? Un objet gastronomique qui donne du plaisir et qu'il faut (ré)apprendre à déguster

P1010033 (2)(Photo: Catherine Thenes)

Sur le stand Retrodor du Salon Saveurs (Porte Champerret, Paris), l'historien Steve Laurence Kaplan s'est livré, le 6 décembre 2013, à l'un de ses exercices favoris (et des plus jubilatoires...): la dégustation commentée d'une baguette de pain. Pour ce remarquable  historien d'origine américaine qui a fait profession de réapprendre aux Français le goût et l'amour du bon pain, "la baguette est un aliment à part entière. Contrairement à ce que pensent nombre d'Hexagonaux, le pain n'est pas un simple accessoire de table, destiné à permettre l'absortion d'une sauce. Il faut redonner à ce noble aliment un vrai statut dans le menu français, une place digne de celle que vous donnez en France à l'entrée".  

Ce que Steve Kaplan souhaite, c'est donner à chacun une grille de lecture, un vocabulaire afin de nourrir la conversation sur le pain et de quoi argumenter avec son artisan-boulanger: "Il faut en finir avec le lien marchand, à sens unique, entre le consommateur et son boulanger. Vous vous devez de retrouver l'envie, le plaisir de lui dire ce que vous aimez ou ce que vous n'aimez pas dans sa baguette.  Le pain est un objet gastronomique qui donne du plaisir. Réapprenez à l'apprécier et à en parler comme vous le faites pour un vin, du saucisson, du fromage ou un gâteau".

Steve Kaplan a tenu à rappeler quelques fondamentaux. Le pain sollicite tous les sens en direct, c'est le seul aliment qui se mange à la main sans la médiation d'un ustensile de cuisine. Regarder, toucher, sentir, écouter, goûter... Voilà les cinq bases de l'évaluation sensorielle de la baguette, selon maître Kaplan. "Ce sont des critères visuels qui vont d'abord déclencher chez moi l'envie de manger. Une baguette doit être appétissante, elle doit provoquer de la concupiscence visuelle. Cette baguette que j'ai en main a une ligne élégante, elle est bien charpentée, rassurante (sans boursouflures disgracieuses. Sa couleur jaune dorée m'indique qu'elle est cuite correctement. Sa croûte est bien craquelée, les coups de lame donnés au paton par le boulanger ont fait leur office pendant la cuisson. ll y a donc une vraie beauté dans cet objet là". Dans sa grille d'évaluation, côté Aspect, Kaplan lui attribue une note de 2,1 sur 3.

Que lui dit ensuite la croûte ? "Au toucher, elle est croustillante, elle crépite. Quand je la tapote, elle résonne comme un tambour. Quand je la hume (ce test rappelle la dégustation des vins: je souffle sur la croûte pour en libérer les arômes et définir sa constitution arômatique....), je sens une odeur de cèpe, de sous-bois, de torréfié, avec une bonne tension entre le sucré et le salé, c'est parfait !". Rassuré par ces signes sur la qualité de la farine, la bonne cuisson de la baguette, sa capacité à atteindre une apogée sensorielle, Steve Kapaln  donne à la croûte 2,4 sur 3.

 

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 Vient maintenant le tour de la mie. "J'ouvre le pain: la mie est jolie, ambrée, tirant vers le jaune, presque nacrée, avec un alvéolage (les cavités qui sont la mémoire de la fermentation) irrégulier, elle est moëlleuse au toucher, charnue, élastique (il ne fait pas qu'elle soit anorexique !), elle mérite un 2,75 sur 3". Enchaînons immédiatement avec la mâche. "La première expérience en bouche doit me dire si la croûte et la mie font bon ménage et se mélangent bien (la mâche ne doit être ni laborieuse ni démoralisante, ce qui se passe quand le pain n'est pas assez cuit). La rupture en bouche doit être facile, la déglutition aisée, le bol alimentaire doit se faire facilement. Cela mérite un 0,85 sur 1".

Quid de l'odeur, des arômes de ce pain ? "Si je mets mon nez dans la baguette, je sens des odeurs de fruité (raisins de Corinthe, cerise noire, abricot sec), des notes florales de verveine ou d'acacia", l'important pour Kaplan étant de déterminer s'il y n'a qu'une seule note dominante ou s'il y a un jeu d'odeurs plus complexe. Pour évaluer véritablement les arômes, "il faut que je commence à croquer, mâcher le pain. Je préfêre d'ailleurs parler de flaveurs,  un terme qui évoque une interaction entre les saveurs et les odeurs.  A la première mâche, j'inspire pour tester la saveur gustative puis, bouche fermée, j'expire". Résultat: "la flaveur est forte, ronde, j'y retrouve le goût des fruits (amande, cerise noire, abricots) déjà identifés au nez. S'y ajoute également un arôme de patate douce". A ce stade, on est en pleine expérience proustienne, ces interprêtations étant inspirées à cet expert ès-pain par ses 30 années de dégustation de boulangerie à la française stockées en mémoire dans son cortex !  Pour Steve Kaplan, les arômes, les flaveurs très engageants de cette baguette Rétrodor méritent bien un 4,1 sur 5. 

La baguette a réussi l'examen de façon plus que satisfaisante. En additionnant tous les points, elle obtient l'excellente note de 15,95. Le juge-arbitre a tranché : "A partir de 12/20, je considère que le pain est bon. A 14/20, on est dans le remarquable et à partir de 16, dans l'exceptionnel". Les représentants de Rétrodor sont heureux, le public sous le charme repart ravi.  Les yeux de Maître Kaplan pétillent. Ce soir en avant de rentrer chez lui, il va acheter une  baguette et demi pour le dîner. Et comme chaque jour, sa femme et lui n'en auront qu'une à se partager. Il aura dévoré une demie baguette sur le trajet. Steve Kaplan n'a jamais pu résister à du bon pain français.

 Retrodor

 

 

 

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