La cuisine de rue, Un tour du monde historique et culturel

Marcelle Ratafia (Photo Guillaume Blot)

"La cuisine de rue est un formidable levier anthropologique, explique le jeune Chef Mory Sacko. Plonger dans l'histoire de ces plats, c'est découvrir des mouvements de population, des adaptations culturelles, l'affirmation d'une identité autour d'une préparation".

Loin de l'actuelle standardisation de la junk-food mondialisée, la street-food est riche de nombreux univers culturels, d'une multitude de plats singuliers, de traditions culinaires et de pratiques souvent ancestrales venues de tous les horizons. Férue d'histoire de la chose comestible, Marcelle Ratafia (c'est le pseudo de l'auteure...) a décidé de retracer l'incroyable parcours historique de ces nourritures populaires et les trésors de créativité, de débrouillardise, d'esprit de survie et de partage et de sens du collectif qui leur ont donné corps. Le tout en 300 pages goûteuses remplies de portraits, d'anecdotes, de chiffres, de photos, d'illustrations, de légendes dans l'ouvrage Culture Street food, qu'elle a publié en octobre 2024 aux Editions Marabout.

Au fil des pages pleines de vie et de couleurs, on voit tout ce que la cuisine de rue doit aux aléas de l'histoire, des crises économiques et des vagues migratoires, aux soubresauts des conquêtes territoriales, et tout ce que le besoin de se nourrir avec et au milieu des autres a entraîné comme géniales inventions à partir de quelques denrées de base, en mode assimilation par la nourriture, reproduction -avec gourmandise mais sans droits d'auteur- de ce qui se fait de bon partout sur la planète et affirmation d'une identité nationale à partir d'une recette ou d'un savoir-faire.

(D.R.)

Et c'est parti pour un tour du monde culturel et historique de ce qui se mange dans la rue, avec les doigts, enfilé sur des brochettes ou dans un bol, emballé dans du papier journal, une barquette en carton, en kraft ou en alu. A commencer par le Burger et les innombrables déclinaisons de pains ronds à la viande: le Cemita mexicain, le Vada pav indien (surnommé le Bombay Burger) ou le Rou jia mo chinois (sa version épicée au piment vert), le Hot-dog, roi de la street-food né en 1890 et dont la déclinaison en Corn dog fait un malheur chez les jeunes Coréens du sud ou encore le très britannique Club-sandwich revisité en Tramezzini italien et en Sando japonais.

Occasion rêvée de revoir ses cours d'histoire et de géographie planétaire... Le très américain Donut doit tout au Olykoek, un gâteau à l'huile apporté sur le continent US par les Hollandais à l'origine de la création de La Nouvelle Amsterdam, tout comme le Bagel venu de Pologne dans les valises des juifs ashkénazes. Le Taco mexicain est un cousin direct des papillotes Tamales aux origines aztèques, le beignet Acarajé vient des descendants des esclaves yoruba déportés au Brésil depuis l'Afrique de l'Ouest, l'Empanada, ce petit chausson ambassadeur de la cuisine argentine est probablement Inspiré des Samboseh nés en Perse puis passés par l'Espagne mauresque à partir de 1520. Quant au Samosa qui a tout d'un indien, il est d'abord passé par les montagnes d'Asie centrale depuis sa Perse natale.

Sans oublier le Döner kebab, le casse-croûte turc qui a commencé son renommée mondiale en faisant un tabac en Allemagne, le Nem (un héritage de l'épopée impériale de l'Annam) que la légende urbain décrit comme... chinois, le Riz cantonais dont les Cantonais n'ont jamais vu la couleur ou encore le Banh mi, le French sandwich du Vietnam du temps de l'Indochine coloniale !

Baguenaudant par la Place Jemma el-Fna à Marrakech, le marché de nuit de Zanzibar ou le Phsar Thmey de Phnom Penh, Marcelle Ratafia trouve le temps de rappeler que le franchouillard Sandwich jambon-beurre se dévore à raison d'1,28 milliard d'unités par an ou que le Dim sum se prépare tantôt cuit vapeur, tantôt frit, tantôt grillé... Les fans de culture prendront le temps de vérifier que ce soft power gourmand a trouvé sa place dans différentes branches de la culture du 20ème siècle, depuis les cartoons, BD, films, séries, manga, jusqu'au rap et à la pop musique. Les exemples ne manquent pas: Groucho Marx trempant en 1934 un beignet dans son café dans le film La soupe au canard, Julia Roberts serveuse dans le resto Mystic Pizza, les Tortues Ninja fans de pizza...

(Photo CBS)

A tout seigneur tout honneur, la street-food a récemment fait une entrée discrète dans le monde feutré de la haute gastronomie. En 2016, on pouvait se régaler du plat étoilé le moins cher du monde (1,50 euros !) euros dans un stand de rue à  Singapour et en 2023, la Man'ouché, l'humble galette libanaise au zaatar, a été inscrite au Patrimoine immatériel de l'UNESCO. 

Culture Street-food, Marcelle Ratafia, Editions Marabout