Grande-Bretagne, Gourmandises et autres recettes de Leurs Majestés
La Reine Victoria au Château de Windsor, 1888 (D.R.)
Du temps de la Reine Victoria et du Roi Edouard VII, 45 membres permanents étaient mobilisés pour le ravitaillement et dans les cuisines de la Couronne britannique. Ils ne sont désormais qu'une vingtaine, n'ayant plus dans leurs attributions à "désosser une bécassine, farcir une tête de sanglier, rôtir une cuisse de boeuf entière ou consacrer 3 jours à préparer un consommé de faisans aux quenelles".
Si langues d'alouette et cygne rôti sont absents des agapes contemporaines du palais de Buckingham, c'est, d'après l'auteur culinaire Tom Parker Bowles, parce que la famille royale a "les goûts de tout le monde". Auréolé de son statut de fils de la Reine consort Camilla et de beau-fils du Roi Charles III, il livre dans l'ouvrage Les recettes de la Couronne, qu'il a publié en septembre 2024 aux Editions Marabout, les secrets et les coulisses de 2 siècles de repas royaux.
Illustrations Alice Pattullo
Pour le quotidien, on retrouve dans les assiettes de Leurs différentes Majestés les basiques de la gastronomique britannique. Victoria aimait les gâteaux et tout ce qui était sucré, Edouard VII le ragoût irlandais, George V le curry et la purée, George VI les omelettes nature et le Duc de Windsor les oeufs cocotte et les harengs fumés. Pour la Reine Elizabeth II qui n'aimait ni les piments, ni les goûts épicés, ni le lait de coco, le Curry -longtemps préparé par des cuisiniers d'origine indienne- avait été spécialement britannisé en une version adoucie. Quant à son mari Prince Philip, il ne manquait pas, une fois les domestiques sortis des appartements privés, de cuisiner régulièrement pour sa royale épouse quelques classiques comme du haddock fumé, un Scotch woodcock (un plat surnommé la bécasse écossaise fait de toasts garnis d'œufs brouillés et de pâte d'anchois !) ou des champignons à la crème.
Photos John Carey
Avec l'actuel détenteur du trône, les Britanniques se retrouvent avec à leur tête un grand spécialiste de la gastronomie britannique. "Personne n'en sait autant que (Charles III) sur le sujet, des races rares aux fruits et légumes anciens, en passant par la fabrication du fromage, la boucherie et la brasserie", précise son royal beau-fils. Ce qui n'empêche pas sa femme, la reine consort Camilla -peut-être moins gourmette ?- de consommer du porridge chaque jour, juste agrémenté d'un peu de miel de la production de ses ruches situées à Raymill House, dans le Wiltshire, d'apprécier le bouillon de volaille et de savoir préparer les oeufs brouillés en grandes quantités et "sans trop de tracas". Un souvenir de sa vie d'avant ?
Critique et auteur gastronomique depuis 25 ans (il est notamment juré d'émissions culinaires sur la BBC) et maintenant membre par alliance de la famille royale, Tom Parker Bowles était particulièrement bien placé pour dénicher informations et anecdotes dans les archives des palais de Leurs Majestés, les menus des banquets donnés en l'honneur de Chefs d'Etat du Commonwealth et du reste du monde et les confidences des chefs de cuisine. Parmi ces derniers, on retiendra le suisse Gabriel Tschumi qui servit sous 3 monarques (de la Reine Victoria à George V), l'aide de cuisine Mildred Dorothy Nicholls qui offIcia de 1908 à 1919 dans les cuisines royales de Buckingham et dont la Tarte aux cerises est restée dans les annales ou encore Mark Flanagan, chef de la Reine Elizabeth et désormais de Charles III.
C'est donc à un univers gourmand et éminement exotique que ce livre nous donne accès. On déjeune avec Edouard VII et le Shah d'Iran en 1902 sur le yacht royal HMY Victoria & Albert, on pique-nique sur les pelouses du très chic meeting hippique d'Ascot, on se restaure après un épisode de chasse dans les landes écossaises de Balmoral, on déguste le symbole de la gastronomie britannique et pilier de la table du déjeuner dominical de nos voisins d'Outre-Manche, le Rôti de côte de boeuf (avec une viande locale de race ancienne of course !), on se régale de la magnificence des produits directement livrés depuis les fermes, serres et domaines de la royauté: gibier, saumon sauvage, champignons, etc.
La grande histoire côtoie la petite, les restrictions alimentaires de la Seconde guerre mondiale cohabitent avec les exigences de la diplomatie, l'imprégnation de la cuisine britannique par la French touch se heurte à la sempiternelle rivalité entre les deux peuples, et le flegme so british s'adapte aux habitudes et aux goûts des convives de haut rang. En 1907, devant son hôte indien de marque qui jetait à terre les tiges d'asperge après en avoir mangé la pointe, le roi Edouard VII l'imita "et toute la tablée fit de même". En visite aux Etats-Unis en 1939 pour plaider la cause de l'Europe envahie par les nazis, le même Edouard VII et le Prince de Galles se virent servir par le Président américain Théodor Roosevelt un Hot-dog qui gagnera bientôt le surnom de "pique-nique qui fit gagner la guerre" (l'Amérique mettant fin à son non-interventionnisme en 1941).
Alors que la Reine Victoria adorait la Salade Aida que le Chef Francatelli lui servait en hommage au cuisinier français Escoffier, le célèbre Boeuf Wellington (dont on dit que l'origine remonte aux guerres napoléoniennes) fut rebaptisé ainsi au prétexte d'un grand élan patriotique... qui permettait surtout d'éviter le recours au très francophile intitulé de Filet de boeuf en croûte. Quant au Ragoût de perdrix, Tom Parker Bowles nous précise qu'il doit se préparer avec de la perdrix grise sauvage anglaise, "bien plus rare et bien meilleure" que la perdrix rouge d'élevage dite "française".
Si rien ne vaut une virée gastronomique dans les rues de Londres, chacun pourra picorer dans ces menus royaux de quoi se la jouer à la britannique, il y en a pour tous les goûts et pour tous les budgets: Gin & Dubonnet de la Reine Mère, Soupe de tortue, Bécassines à la Souvaroff, Cailles à la royale, Tête de sanglier en gelée, Kedgeree (un plat de riz aux épices et haddock fumé, classique du petit-déjeuner et l'un des rares plats indo-britanniques à perdurer), dessert Miramare (celui du couronnement d'Edouard VII qui nécessita 3 jours de préparation), Gâteaux d'annniversaire des Reines Mary et Alexandra...
Sans oublier les recettes du sacro-saint tea-time: les sandwichs garnis "sans croûte et émincés en rectangles de la largeur de deux doigts", l'incontournable Sandwich au Poulet du Couronnement créé en 1953, la Terrine de crevettes, les Sablés de Balmoral, le Cake au thé gallois, les Biscuits au fromage de la Reine Mary, les Scones à la confiture et crème caillée et le Pudding de Noël du Palais de Buckingham dont la Reine Eizabeth a partagé la recette sur Instagram en 2021 quelques mois avant sa mort.
Les recettes de la Couronne, Tom Parker Bowles, Editions Marabout