Angèle Ferreux-Maeght, Influenceuse food version végétarienne
"Complètement perdus face à un chou-rave, interloqués par un coing, inconfortable en présence d'un salsifis" ? Pas de panique, Angèle Ferreux-Maeght vous invite à vous immerger en sa compagnie dans "l'univers vibrant et coloré" de la cuisine des légumes, des herbes, des graines et des fruits.
Dans Ma cuisine végétarienne, qu'elle a publié en septembre 2024 aux Editions Marabout, la jeune femme a compilé tout ce qui peut, à son avis, donner une image pimpante de l'alimentation végétarienne et rendre séduisant pour les gourmands du 21ème siècle en quête de nouveautés et de sens le concept de cuisine à base de légumes.
(Photos Emilie Guelpa)
Entrepreneuse à succès (elle a fondé La Guinguette d'Angèle, le rendez-vous parisien bistro-traiteur-bio-détox-sans gluten devenu très tendance et décliné en épicerie), auteure de best-sellers de cuisine, chroniqueuse de radio et de télévision, l'influenceuse food a récemment ajouté à son arc la naturopathie, une pratique de soins non conventionnelle qui entend "réquilibrer le fonctionnement de l'organisme par des moyens dits naturels". C'est coiffée de ces multiples casquettes que l'auteure est allée chercher dans les différentes traditions alimentaires d'ici et d'ailleurs ce que se fait de mieux en termes de saveurs végétales et a regroupé le tout sous le terme de "cuisine végétarienne".
Sont ainsi qualifiées de "végétariennes à l'insu de leur plein gré" -sans donc que la mise au point de ces préparations ait répondu forcément à l'envie d'exclure la nourriture d'origine animale, que ce soit pour des raisons d'ordre philosophique ou de santé, de réduire son empreinte carbone ou de mieux respecter le bien-être animal- des recettes de tous les jours mises au point depuis des générations voire des siècles pour se nourrir en accommodant les produits locaux disponibles en fonction de la géographie, des pratiques culturales et des saisons: concombres à la crème, falafels, dahl de lentilles, tatin d'oignons, soupes diverses, papates douces rôties, poivrons confits, piperade, endives en salade, tarte à la tomate.
Sans oublier tous les desserts aux fruits que l'auteure fait entrer dans cette catégorie car ne contenant, par définition, ni viande, ni poisson: gâteau à la châtaigne, gelée ou pâte de coing, pavlova, financiers ou quatre-quarts aux fruits rouges, tarte aux abricots, granité de melon, sablés à l'orange, etc...
Angèle donne aussi sa version revisitée de belles recettes venues d'ailleurs, des plats ancestraux emblématiques de traditions culinaires diverses qui se retrouvent eux aussi labellisés "cuisine végétarienne": Ajoblanco (une soupe froide à l'ail et amande inspirée du gaspacho d'Andalousie apparu avant le 15ème siècle), Blinis à la betterave (des galettes à la mode russe et ukrainienne, dont le principe a été mis au point dans l'Egypte ancienne), Taboulé de brocoli ou de chou-fleur (une salade emblématique de la cuisine levantine), Pad thai brocoli et tofu (un plat acidulé-sucré-salé-épicé à base de pâtes de riz de la cuisine thaïlandaise, assez proche du pho-xao vietnamien ou du kiaw tiao chinois, et connu depuis le 15ème siècle), Guacamole de brocoli (une préparation mexicaine à base d'avocat héritée de la civilisation aztèque dans les années 1200 de notre ère), Carrot cake, Scones de butternut ou Lemon square -carrés au citron- aux origines anglo-saxonnes, Houmous de céleri (une variation autour de la purée de pois chiche très répandue dans le Proche-Orient... depuis le 13ème siècle), Maki de poireau (le rouleau japonais d'algue nori autour de riz blanc farci), Dukkah (ce mélange de graines, de noix et d'épices dont on se régale en Égypte et dans tout le Moyen-Orient), ou encore la Carbonara de shiitakés (une adaptation de cette spécialité italienne avec des champignons japonais), ou le so Indo-British Curry additionné de mogettes, courge et épinards.
On trouve aussi dans cet ouvrage quelques versions exemptées de viandes de plats plus que traditionnels empruntés eux aussi à différents siècles et différentes cultures culinaires. Comme le Kebab d'aubergines, une adaptation végétarienne des grillades arabes ou le Bourguignon de champignons, l'estouffade ou carbonade -qui remonte à la période du rattachement du Duché de Bourgogne à la Flandre- dans une version où le végétal remplace le boeuf.
Mais sur toute cette histoire de la gastronomie, le livre fait l'impasse. Et c'est bien dommage car elle dit beaucoup sur le rapport que l'humanité entretient avec sa nourriture, indépendamment de tout concept.
Un joli livre rempli de belles recettes pour des bons petits plats familiaux à base de légumes ou de fruits, dont on s'étonne donc que l'auteure la promeuve sous le titre de cuisine végétarienne. Requalifier ainsi, pour les faire entrer dans un concept de l'ère industrielle, des recettes aussi populaires qu'un gaspacho, un guacamole, une piperade aux oeufs ou une tarte aux abricots ne manque pas de rappeler ce bon Monsieur Jourdain qui lui faisait, non pas du végératisme, mais de la prose sans le savoir.
Dommage de réduire la variété et la diversité des plats à base de légumes au simple respect d'exigences nées des excès de l'ère industrielle et réactivées par le dérèglement climatique. C'est passer sous silence que ce type d'alimentation est d'abord et avant tout le produit de traditions culinaires façonnées par des successions de générations au gré de l'évolution des modes culturaux locaux, de l'apport de denrées agricoles venues d'ailleurs et des saisons. Tout comme il est dommage de vouloir plaider la cause du végétarisme en s'aidant d'une liste de recettes à base de végétaux mais en passant sous silence le bilan écologique, énergétique et humain de leur culture, de leur transport et de leur usage tout au long de l'année.
Ma cuisine végétarienne, Angèle Ferreux-Maeght, Editions Marabout